DEPUIS PLUS D'UN SIÈCLE,
L'ÉGLISE ABBATIALE
DE LA CHALADE FAIT L'OBJET
DE TRAVAUX CONTINUS DE
RESTAURATION ET D'ENTRETIEN

Au moment de la Révolution, tous les biens de l'abbaye furent dispersés. le 17 juillet 1790, les agents municipaux procédèrent à l'inventaire des biens, meubles et immeubles et en prirent possession au nom de la Nation. Le 18 avril 1791, les bâtiments furent mis en vente par le district de Clermont.

Tous les biens vendus ou spoliés, la communauté dispersée, l'abbaye de La Chalade disparaissait après plus de six siècles et demi d'existence et de rayonnement dans la vallée de la Biesme.

L'église abbatiale transformée en église paroissiale de Lachalade devenait alors propriété de la commune et, de ce fait, cette dernière en avait la charge totale.

Dès cette époque, les maires de Lachalade qui vont se succéder auront le souci de s'occuper de la restauration et de l'entretien de l'édifice, et ce sera une lourde charge pour les finances d'une petite commune.

Christian Théron, maire de Lachalade depuis mars 1965, a bien voulu me confier des documents permettant de retracer l'histoire de la restauration et de l'entretien de l'église au cours de ces cent trente dernières années.

De la Révolution à 1900

Vers 1856, une première restauration eut lieu. Les travaux effectués alors furent probablement consacrés à la remise en état de toute la partie ouest de l'édifice et certainement à la réfection de la façade, comprenant la rosace provenant de l'ancienne église Sainte-Vanne de Verdun, qui fut posée en 1862 grâce à l'énergique volonté de l'abbé Chaput, alors curé de Lachalade. Ces travaux se seraient élevés à un montant de 28 477 F financés par une imposition de 0,20 F pendant dix ans (qui rapporta une somme de 4 229 F), un secours de l'Etat de 8 000 F et des fonds donnés par le curé pour 16 248 F. Cette imposition de 0,20 F sur les quatre taxes devait d'ailleurs être renouvelée pour dix ans jusqu'en 1876.

En 1876, à nouveau, des réparations urgentes sont à effectuer. Le conseil municipal se réunit le 23 juillet de cette même année pour étudier un dossier préparé par l'architecte Médard. Les travaux prévus alors comprennent la construction d'un clocher, le relèvement de la couverture, la réparation des vitres (sic), la réouverture des arcades latérales du choeur et la construction d'un escalier pour accéder aux combles. Le devis s'élevait à 27 000 F. Les élus municipaux et les habitants les plus imposés (ces derniers avaient le droit de participer aux décisions communales), devant la nécessité et l'urgence des travaux, les intempéries compromettant la solidité de l'édifice et en hiver l'église étant « inhabitable », décidèrent leur réalisation, à l'exception de la réouverture des arcades du choeur dont le coût était de 2 380 F. Le devis fut ainsi ramené à la somme de 24 620 F.

Le financement était envisagé de la manière suivante : une nouvelle imposition de 0,15 F sur les quatre taxes, qui rapporterait, du 1er janvier 1876 au 21 décembre 1885, la somme de 10 500 F, et un secours demandé à la préfecture de 14 120 F.

Cette proposition est rejetée par la commission des bâtiments civils, qui refuse la construction d'un clocher pouvant compromettre la solidité de l'édifice.

Le conseil municipal se réunit à nouveau pour ce dossier, le 20 mai 1877. Le maire, Jean-Louis Gerodel, lui soumet un contre-projet s'élevant à 50 000 F, financé toujours par le produit de l'imposition et un secours demandé au gouvernement de 39 500 F. L'imposition prévue irait du 1er janvier 1878 au 31 décembre 1887, et rapporterait 10 500 F.

Le maire, soucieux de trouver à tout prix des fonds pour la réalisation de cette réfection indispensable, frappe à toutes les portes. Il écrit tout d'abord au préfet, signalant les sacrifices considérables déjà consentis par les habitants de Lachalade. Il exprime son « sentiment de tristesse » devant la « destruction prochaine » de son église abbatiale si des travaux ne sont pas rapidement effectués. Il insiste en particulier sur l'urgence des travaux de couverture, la pluie s'infiltrant sous les voûtes, menaçant de les endommager à jamais et compromettant la solidité de l'ensemble.

Le 13 mars 1878, le maire écrit encore à M. Salmon, sénateur, lui exprimant la confiance qu'il a en sa sollicitude et lui demandant d'user de son influence auprès du ministre des Cultes pour que ce dernier intervienne rapidement pour la réfection de l'église de Lachalade.

Une lettre analogue est adressée au sénateur Bompard, au baron Klopstein, député, et au vicomte d'Abancourt, qui a déjà rendu de multiples services à « cette laborieuse population » de Lachalade. Enfin un dernier courrier est adressé directement au chef de bureau du ministre de l'Intérieur, Henri Chadenet.

Le 9 février 1879, le maire de Lachalade est saisi d'une réclamation de l'architecte Demoget qui n'avait pas perçu les honoraires des travaux effectués en 1862. Cet architecte d'Angers ne devait pas être pressé de recevoir son argent pour le réclamer dix-sept années plus tard ! Il lui revenait une somme de 730,70 F augmentée des intérêts de retard, soit un montant de 836,07 F. Bien que cette somme ne soit pas très importante, la « pénurie » des finances communales ne permît pas de la régler immédiatement. Toutefois, réuni le 11 mai 1879, le Conseil municipal vota le règlement de la créance en demandant la remise des intérêts. Le 25 mai 1879, le maire écrivit en ce sens à l'architecte, sollicitant donc la remise des intérêts et le règlement en deux années. Une imposition extraordinaire de 7 centimes fut votée pour ce faire du 1er janvier 1880 au 31 décembre 1881.

Pour en revenir aux travaux envisagés par le Conseil en 1877, et après un pressant appel auprès de toutes les personnalités pouvant intervenir pour obtenir des aides, une première tranche de travaux peut avoir lieu. Il s'agit de l'urgence, c'est-à-dire la réfection de la couverture. Cette réfection s'élève à 14 617,61 F. En retenant le dixième pour la garantie, il faut trouver 13 155,85 F. En plus de l'imposition de 0,15 F prévue, il est nécessaire de faire un emprunt de 10 000 F à la Caisse des dépôts et consignation.

Après ces travaux de couverture, les vieux matériaux (plomb, débris de charpente) sont récupérés et vendus afin d'en obtenir une modeste compensation.

D'autres travaux urgents sont encore à entreprendre et Jean-Baptiste Bené, le maire qui a succédé à Jean-Louis Gerodel, prend, avec beaucoup de dévouement, la relève. Il écrit, lui aussi, à nombre de personnalités. En mars 1880, il adresse un courrier à M. Honoré, sénateur de la Meuse, pour appuyer ses demandes de secours. Le député des Ardennes, M. Peronnet, est également sollicité, enfin - ultime recours - le ministre de l'intérieur et des Cultes est saisi de la nécessité des travaux de restauration et du besoin de finances pour mener à bien ces projets.

Les travaux prévus alors sont la remise en état du pavage et la restauration des vitraux. Le maire insiste auprès de ses interlocuteurs sur la pauvreté de la population laborieuse de Lachalade ainsi que sur la pénurie des ressources de la commune.

Le 20 juin 1880, une adjudication d'une tranche des travaux est décidée, c'est Jules Lachambre, entrepreneur à Vienne-le-Château, qui l'obtient. Le carrelage du sol, les marches du choeur, les voûtes des collatéraux et les vitraux entièrement détruits sont refaits. Le montant de ces travaux s'élève à 15 942,40 F. Ils sont réalisés en cours des années 1880-1881. Le solde de la facture présentée par M. Lachambre, soit 1 943,15F, est voté par la municipalité le 5 octobre 1884. Le dixième retenu pour la garantie sera versé plus tard. Ce reliquat et la retenue de garantie tardant à venir, l'entrepreneur fait état, le 8 août 1885, dans un courrier très sévère pour la commune de Lachalade, de « la négligence et du mauvais vouloir de la municipalité », et il demande des intérêts de retard. Le conseil municipal juge cette missive « de tout point déplorable, car la commune a fait tout ce qu'elle pouvait pour payer ».

Où se trouve la négligence entraînant ce retard de paiement ? Une lettre est adressée au préfet par les conseillers pour user « des voies et moyens qui permettront d'apporter des éclaircissements sur cette question qui apparaît des plus obscures ». Le conseil municipal est convoqué le 27 septembre 1885 et les mesures nécessaires à ce règlement sont alors prises.

Au cours de la fin du XIXe siècle, l'intérieur fait l'objet d'aménagements qui sont en partie réalisés par les paroissiens. On note à cette époque un certain luxe dans le choix des meubles et dans leur disposition.

De 1900 à 1940

En 1900, l'édifice apparaît en assez bon état, après les réfections successives qui ont été réalisées au prix de sacrifices considérables consentis par la population. Une croix est signalée au-dessus de la porte des Morts ou porte nord de l'église, une statue en bois est placée au-dessus du portail ouest et un appentis a été élevé à droite de ce portail dans une niche au sommet de la façade ouest, se trouve une statue sans tête.

Au cours de la Première Guerre mondiale, l'ensemble des bâtiments et l'église vont souffrir des événements. L'abbaye et les bâtiments conventuels sont utilisés comme « ambulance ». De nombreux blessés sont soignés là. L'intérieur est alors endommagé de manière importante, les vitraux sont cassés, les soldats se chauffent avec le mobilier.

Si le gros oeuvre n'a pas subi de gros dégâts, il faut cependant, après la guerre, restaurer la couverture. Les vitraux sont remplacés par du verre et des travaux sont effectués grâce aux efforts conjugués des paroissiens, mais aussi de mécènes. C'est ainsi que la ville de Pithiviers, marraine de guerre de Lachalade, lui viendra en aide financièrement, de même que quelques personnalités. De 1920 à 1940, le chemin de croix est entièrement rénove.

Le 18 octobre 1931, Mme Du Granrut fait la donation du chartrier qui se trouve accolé au sud-est de l'église contre les bâtiments conventuels. C'est Maître Lallier, notaire à Verdun, qui reçoit l'acte de donation du chartrier et d'une parcelle de 5 mètres sur 5 mètres. Le conseil municipal accepte la donation, mais demande que l'entretien soit à la charge des Beaux-Arts.

Le 17 septembre 1933, M. Boutaud, architecte à Varennes, présente un projet de construction d'un tambour à la porte des Morts. Le devis de ces travaux se monte à 2 310F. Proposé aux conseillers, ce projet obtient leur accord et ils autorisent le maire, M. Léon Marizier, à passer un marché de gré à gré avec l'entreprise Roland Frères, pour l'exécution de ce travail. Ce tambour ne sera jamais réalisé, fort heureusement.

Au cours de l'année 1935, des menus travaux sont à exécuter, mais le conseil refuse de voter la somme correspondante à ces quelques réparations. L'assemblée communale refusera également une subvention annuelle à l'architecte du département, M. Delangle, pour l'entretien de l'église.

De 1940 à nos jours

La Seconde Guerre mondiale va causer à nouveau des dégâts importants à l'église abbatiale.

Au cours du mois de mai 1940, l'abbaye est bombardée par les Allemands et endommagée.[voir photos]

Mme Pierre Marizier, alors institutrice à Lachalade, se souvient très bien de cette période de mai 1940. Le 12 mai, des avions de reconnaissance allemands survolent, à basse altitude, le village : les aviateurs ennemis repèrent les troupes françaises qui sont cantonnées dans les bâtiments conventuels attenant à l'église. Deux jours plus tard, le 14 mai, à nouveau des avions allemands survolent Lachalade, mais, cette fois, ils lâchent des bombes qui causent des dégâts importants à l'église et aux environs. La toiture de l'abbatiale est endommagée, le cimetière est labouré par les explosions, de nombreuses tombes sont détruites. La charpente et les voûtes de l'église s'effondrent, causant des destructions à l'intérieur.

Les réparations de ces destructions vont être longues et s'étaleront sur plusieurs années, voire décennies.

Quelque temps après le bombardement, M. Boutaud, conseiller général de Varennes, vint se rendre compte des dégâts. Le maire, M. Marizier, para au plus pressé en faisant mettre hors d'eau les parties préservées et en isolant, par une cloison en bois, la partie est du choeur et du transept intacts. Léon Marizier, maire jusqu'en 1955, puis Léon Hurlain, qui lui succède, auront la lourde tâche d'entreprendre la restauration de l'église.

A signaler que le chartrier, cédé à la commune en 1931, fut détruit en 1945. Un sous-officier français avait la charge de garder un groupe de prisonniers allemands. Il ordonna cette destruction, apparemment sans raison. A cette occasion, plusieurs prisonniers allemands furent tués, dans des circonstances qui n'ont pas été élucidées.

D'importants travaux furent donc entrepris après la Seconde Guerre mondiale pour remettre en état la partie détruite lors du bombardement allemand de 1940. Les voûtes furent en presque totalité refaites à neuf, les piliers furent consolidés et toute la partie nord-ouest, qui avait énormément souffert, fut entièrement reconstruite. Les vitraux cassés lors du bombardement par les déflagrations furent remis en état par le maître-verrier Gruber.

A partir de 1965, Christian Théron prit le fauteuil de maire de Lachalade. Son souci premier fut de continuer l'oeuvre de ses prédécesseurs, Léon Marizier et Léon Hurlain, et d'achever la reconstruction avec les dommages de guerre de 1939-1945 qui restaient.

Pour ce faire, le maire prit contact avec l'architecte départemental des Monuments historiques et un programme de travaux fut alors mis au point. Il comprenait la restauration du pavage du sol de la nef qui avait été considérablement endommagé par la chute des voûtes et de la charpente lors du bombardement de 1940, et la reconstruction de deux contreforts encadrant la porte des Morts. Ces derniers avaient été disloqués par la pousse d'arbustes et des pierres étaient descellées. Il y avait encore quelques menus travaux sur la toiture principale ainsi que des bordures en ciment et la réfection d'une chape à exécuter, afin d'éviter la dégradation des voûtes par les eaux de pluie.

Depuis 1986, M. Théron [voir photos] prépare un gros dossier de restauration. En effet, il y a constamment des dégradations dues aux intempéries ainsi qu'au matériau, la gaize, la pierre gélive et vulnérable nécessitant une surveillance constante. Le maire, passionné par « son église » et qui en connaît bien l'histoire, ne néglige aucun détail et préfère prévoir et intervenir avant que de grosses réparations ne soient nécessaires. Un vaste programme d'entretien et de restauration va ainsi être entrepris sous la direction d'un architecte en chef des Monuments historiques. Ce programme est subventionné par 1'Etat pour 60 % et par le Département pour 30 %.

Ce sera un dossier à suivre très prochainement.

Ce tour d'horizon des différentes restaurations au cours des 130 dernières années montre combien l'église abbatiale a nécessité de surveillance constante mais aussi de moyens financiers considérables et de sacrifices de la part des habitants d'une petite commune. Ils ont permis de conserver un patrimoine aussi précieux pour l'histoire de Lachalade que pour celle de notre magnifique région d'Argonne.

Il me reste à remercier Christian Théron, maire de Lachalade, pour les documents qu'il a bien voulu me laisser consulter, pour le temps qu'il m'a consacré afin de présenter cette rétrospective.

Alcide LERICHE