LA CHALADE : « L'ATOUT CARREAUX »

Tous ceux qui s'intéressent de près à l'église de La Chalade ont lu ou entendu dire - que des carreaux de pavage décorés, datant probablement de l'édifice précédent, avaient été retrouvés au siècle dernier, et qu'ils avaient disparu, avec beaucoup d'autres choses, en 1914-1958.

Je connaissais bien, pour en avoir récupéré quelques tessons, les carrelages de Beaulieu (terrassements à Saint-Rouin) et de Moiremont, mais j'avais fait mon deuil de ceux de La Chalade, quand je visitai, en 1990, l'exposition du « Millénaire » de la cathédrale de Verdun. Une vitrine était consacrée à ses anciens carrelages avec une superbe planche de dessins dont l'origine était indiquée : « Bibliothèque municipale de Verdun, manuscrit 882, Liénard - Acquisition récente ».

Mon sang ne fit qu'un tour. Et si... ? Il fallait en avoir le coeur net. Deux jours après, j'étais à la bibliothèque. Merveille les dessins des carrelages de La Chalade étaient là, avec ceux de Lisle-en-Barrois. [ voir dessins ] Une note manuscrite y était jointe, dont voici les passages principaux :

« Le sol de cette église ayant été surbaissé, il y a quelques années, a laissé voir, à 30 ou 40 cm de profondeur, quelques petits carrelages monochromes ayant probablement appartenu à l'église primitive (1130) ; les plus importants sont de forme carrée de deux dimensions différentes... il en est qui sont de la forme de losange... vernissés soit en rouge, soit en vert, destinés probablement à former des étoiles incrustées dans le pavage, d'autres sont arrondis par le haut, évidés et pointus par le bas, s'emboîtant exactement à former des écailles ou imbrications, ces derniers également vernissés soit en vert, soit en rouge.[ voir modèles ]
« Ce système de pavage est sans contredit le plus ancien et le plus curieux de tous ceux que nous avons à décrire.
« Cette église ayant été reconstruite... fut pavée de carrelages au goût de l'époque, c'est-à-dire en briques émaillées et à sujets... de 12 cm de côté, ornés cil jaune sur fond rouge. Les plus intéressants... portent le nom du fabricant Rebould... et d'un autre semblant se terminer en INS, peut-être Collins.
« Les autres représentent les barbeaux du Barrois, les griffons affrontés pour compartiment de 16 briques, des quarts de rosaces, des rinceaux, des entrelacs, etc. »

Il s'agirait « d'une école qui travaillait sur les marches de la Champagne et de la Lorraine » (E. de Barthelémy, Bulletin monumental, 1890).

Suit une citation de A. de Barthelémy (carreaux historiés et vernissés avec noms de tuiliers, 1887), qui décrit la fabrication des carreaux à l'aide d'un moule en bois. L'auteur n'est pas un technicien. Nous préférons à sa description celle de Brongniart, qui fut directeur de la Manufacture de Sèvres au début du XIXe siècle, niais dont le nom n'est plus guère connu aujourd'hui que par le Palais de la Bourse.

Son monumental « Traité des arts céramiques » dit (T. I. p.369) : « Ordinairement, le carreau est formé de deux pâtes de même nature, mais différentes par leur finesse : grosse à la partie principale et inférieure, l'autre, à la partie supérieure en couche mince est très fine. C'est dans cette partie qu'on imprime, par voie de pression plus ou moins puissante, au moyen d'une estampille, les ornements en creux. Ces cavités sont ensuite remplies de la même pâte, mais colorée par des oxydes. On enlève avec une lame ou râcle en corne les parties qui ont empiété sur le fond, et on nettoie même celui-ci avec une éponge. La plus grande difficulté est d'obtenir que la pâte colorée qui forme les ornements prenne à la cuisson le même degré de retraite et de dureté que celui des carreaux. »

Ce procédé avait l'avantage de résister, jusqu'à un certain point, à l'usure, en raison de l'épaisseur de la couche colorée. Les carrelages plus récents semblent bien avoir été décorés au pochoir.

Ajoutons que les carreaux étaient recouverts à la cuisson d'un vernis plombifère jaunâtre, qui colorait en jaune les dessins dont la pâte était blanche et en rouge orangé le reste du carreau qui était de couleur brique.

Nous avons donc en main tous les éléments pour procéder à une reconstitution, avec le concours de M. Lange, potier à Passavant, et du collège de Clermont (pour l'estampille). L'histoire pourrait s'arrêter là. Reste le plus étonnant. Mlle Meyer, conservateur du musée de La Princerie à Verdun, ayant récemment ouvert ses réserves pour contribuer aux expositions argonnaises de l'été, j'eus la surprise d'apercevoir une caisse de carreaux vernissés, de provenance inconnue. De mémoire, il me sembla bien identifier quelques motifs, impression confirmée, croquis en main, quelques jours plus tard. Les visiteurs de l'église de La Chalade ont pu les admirer en complément inattendu à l'exposition L'Art de bâtir au Moyen Age.

Ce n'est pas fini. L'hypothèse d'une « école de potiers travaillant sur les marches de la Champagne et de la Lorraine » va pouvoir être examinée à la lumière de découvertes récentes à l'église de Moiremont et à Saint-Rouin (fouilles de l'ancienne chapelle), ces deux gisements ayant déjà fourni un même cavalier en armure, chaussé à la poulaine, lance en main. Affaire à suivre. Les personnes ayant connaissance de carreaux semblables (même en fragments) sont priées de prendre contact avec l'auteur.

François JANNIN Les Islettes (55120)