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LES CISTERCIENS DE LA CHALADE À LA RÉVOLUTION

Dans les premiers mois de 1790, les biens de l'abbaye de La Chalade, comme ce fut le cas pour tous les ordres religieux, furent inventoriés [1]. Les religieux furent interrogés pour savoir s'ils voulaient continuer la vie commune ou profiter de la liberté. Nous n'avons pas de documents pour les cisterciens de La Chalade. Mais nous savons, comme nous le verrons par la suite, qu'un au moins voulut profiter de la liberté [2].

L'abbaye de La Chalade avait un abbé commendataire, Jacques-Marc-Antoine de Mahuet de Lupecourt, né à Nancy en 1732, nommé par le roi en 1780. Il habitait à Nancy. Il n'était pas religieux (n° 1687) [3]. Il mourut à Nancy en 1806, après avoir été grand doyen de la cathédrale et vicaire général du diocèse. Au moment de la dispersion, en juillet 1790, l'abbaye comptait dix religieux.

Le prieur, Joseph Bricard (n° 310) était né à Metz en 1751. Il est indiqué comme demeurant à La Chalade jusqu'à la fin de 1796. Il partit alors pour Metz où il mourut en l'an XII.

Où Joseph Bricard et les quelques religieux qui demeurèrent à La Chalade habitaient-ils ? Restèrent-ils dans l'abbaye en attendant qu'elle soit vendue, en avril 1791, à M. de Bigault de Parfondrupt (maire de La Chalade) ou trouvèrent-ils refuge dans des familles du lieu ? Les cisterciens, qui avaient des terres à cultiver, faisaient appel aux hommes du pays qui comptait environ 450 habitants. Tout porte à croire que les relations étaient bonnes et que les religieux furent aidés dans ces temps d'épreuve.

François-Emmanuel Claro (n° 448), né à Condé-en-Hainaut (Nord) en 1743 était sous-prieur. En janvier 179l, il était aumônier de la garde nationale. Il quitta La Chalade en 1797 pour Valenciennes [4], mais il y était revenu pour 1801 comme nous le verrons (acte de décès de Ventas). Il mourut en 1828 desservant de Saulmory (Meuse).

François Longuet (n° 1661), né à Audigny-les-Fermes (Aisne) en 1747, était curé de La Chalade depuis 1785. A ce titre, il prêta le serment constitutionnel le 30 janvier 1791 et fut inscrit sur la liste des constitutionnels [5]. Mais un autre document [6] indique qu'il prêta le serment avec restriction. Aussi dut-il quitter ses fonctions dans les semaines qui suivirent pour être remplacé par un curé constitutionnel, un autre ancien cistercien de La Chalade, Ducrez.

Il repartit alors vers son département d'origine, car il est signalé comme habitant Bohain-en-Vermandois en l'an XI. Il mourut à Vervins en 1817.

Louis-Joseph Ducrez (n° 757), né en 1747, était, comme Claro, originaire de Condé-en-Hainaut (Nord). Procureur de l'abbaye, il succéda à Longuet comme curé « constitutionnel ». Il signa les actes des mois de 1791 comme « desservant ». En 1792, il se désigne comme curé. Il le fut jusqu'à la fin de 1793. A cette date, tout culte fut interdit.

Les lois du 3 ventôse (21 février 1795) et du 11 prairial (30 mai) permirent la reprise du culte, mais pas dans les églises. L.-J. Ducrez en profita certainement, mais nous n'avons de lui aucun acte de baptême et de mariage pour cette époque, alors que nous en avons pour d'autres paroisses comme Beaulieu.

Il dut rester à La Chalade durant toutes ces années (acte de décès de Ventas). Il sera nommé desservant de Boureilles en 1803, puis de Dun-sur-Meuse, où il mourut en 1812.

Jacques-Albert Ventas (n° 2591) était né à Avesnes (Nord) en 1733. Il demeura à La Chalade où il mourut le 9 thermidor an IX (27 juillet 1801).

L'acte de son décès nous apprend qu'il était en pension chez Claude Jametz, scieur de long. La déclaration fut faite « en présence des citoyens L.-J. Ducret et Emmanuel Claro, tous deux religieux ci devant ordre de Citeaux, à La Chalade, amis ».

Antoine-Simon Vanin (n° 2562) était né à Châlons-sur-Marne en 1744. Quand les actes paroissiaux devinrent état-civil, il fut officier public pendant quelque temps. Il était encore à La Chalade en juillet 1792. Il demeurait avec les frères Claro et Ducrez. Il est mort à Dun en 1811 où il avait suivi le frère Ducrez. Il n'avait jamais repris de ministère.

Joseph Frison (n° 917) était né à Bettainvillers (Meurthe-et-Moselle) en 1747. Il ne resta pas à La Chalade. Pour le trimestre de juillet 1792, il toucha sa pension annuelle de 900 livres à Clermont où il habitait depuis plusieurs mois. Après le concordat on le retrouve curé de Trieux (Meurthe-et-Moselle).

Il mourut desservant de Sancy (Meurthe-et-Moselle) le 30 avril 1826, assassiné, a-t-on écrit. Mais son acte de décès ne le précise pas.

Jean-François Camberlin (n° 363) était né à Fort-sur-Sambre (Nord) en 1751. Il dut quitter La Chalade assez tôt [7]. En 1817, il habitait à Laflamengrie (Aisne).

Nicolas-Ulric Romagny (n° 2299) était né à Verdun en 1761. Il prêta le serment constitutionnel pour être du clergé diocésain. On le trouve vicaire à Lochères puis à Montmédy en novembre 1791. Quelques mois plus tard, il fut élu curé de Thonne-le-Thil.

Il abdiqua le 29 germinal an II et remit ses lettres de prêtrise le 26 ventôse an II. Resté à Thonne-le-Thil, le 1er germinal an IV, il fut arrêté et emprisonné. Il fut libéré bientôt, le 22 germinal. Il avait été dénoncé pour avoir rétracté son serment. L'enquête prouva que le renseignement était vague. Ses papiers avaient été mis sous scellés. Il mourut en 1837 desservant de Rouvres, où il avait été nommé en 1805.

Jean Pierron (n° 2113) était né à Lamorville en 1765. Sur lui, nous avons davantage de renseignements d'après la lettre qu'il écrivit au cardinal Caprara [8].

Ses parents l'avaient forcé à être religieux bernardin (cistercien). Il avait obéi, mais « l'ennui et le chagrin le consumaient... Il refusa de prendre des ordres aux approches de la Révolution, qu'il vit arriver avec plaisir seulement parce qu'elle le rendait à la liberté... »

Pourtant, il est indiqué comme vivant encore à La Chalade en 1791 [9]. Il préférait certainement rester là plutôt que de retourner chez ses parents. On peut comprendre pourquoi.

Ses parents voulaient qu'il soit prêtre. Il se retira chez eux, mais ils lui refusaient ce qui est nécessaire à la vie s'il ne condescendait à leur volonté». Il fut ordonné diacre par l'évêque constitutionnel J.-B. Aubry.

« Il aurait été infailliblement prêtre séculier, état qui ne lui convenait en rien si la Révolution, qui n'a pas toujours fait le bien, n'avait renvoyé tout culte religieux... ». C'était donc vers la fin de 1793.

Il déposa ses lettres de diaconat à Commercy le 30 brumaire an Il.

Il exerça plusieurs métiers : administrateur du district, préposé aux achats des subsistances militaires, garde-magasin... Puis « il accéda aux voeux bien prononcés de ses parents » pour le marier à la nièce de sa belle-mère (son père veuf s'était remarié) et conserver l'héritage. Bientôt il fut déchiré par le remords. Aussi, pour retrouver la tranquillité de sa conscience, demanda-t-il au cardinal Caprara l'absolution des censures et de pouvoir recevoir le sacrement de mariage.

Il mourut à Lamorville en 1813, rentier.

La destinée des cisterciens de La Chalade fut bien différente de celle des chanoines de Montfaucon [10], dont certains moururent sur les pontons de Rochefort, victimes des persécutions religieuses de la Révolution.

Abbé André GAILLEMIN


[1] AD. Meuse, Bp 947.

[2] Le Pouillé, I, p. 745 écrit que tous réclamaient la liberté.

[3] Ce chiffre et les suivants indiquent leur notice dans mon « Dictionnaire des prêtres, religieux et religieuses nés en Meuse ou vivants en Meuse pendant la Révolution ».

[4] A.D. Meuse, L 1529.

[5] A.N., D XIX/22.

[6] A.D., Meuse, L 1478.

[7] A.D., Meuse, L 1477.

[8] A.N., AF IV 1909 d 13/3.

[9] A.D., Meuse, L 1477

[10]Horizons d'Argonne n° 60, 1990, p. 67-91, article d'Alcide Leriche.